La société Munatco opte officiellement pour le globish à la place de l'anglais.
Munatco et la communication planétaire.
MUNATCO (MUltiNATional COrporation SA) a son siège social, et nombre de ses actionnaires en Ruritanie.
Munatco opère dans plus de cent pays, à travers des filiales, ou des partenaires associés localement.
Le siège abrite de très nombreuses nationalités, même si les Ruritaniens y sont nettement majoritaires. L’histoire, et la facilité de tous les jours dictent cette démographie.
La langue parlée au siège est officiellement le ruritanien. Pourtant, il a été observé que, cette langue étant minoritaire au niveau mondial, son usage handicapait la performance et le coût des échanges planétaires : tel message, telle communication, adressés en ruritanien à Valparaiso ou à Oulan-Bator n’étaient pas spontanément compris par tous localement. La traduction, quand elle était décidée, était lente, dispendieuse, et fauteuse de trahisons. Qui plus est, dans nombre de cas, les échelons locaux ne prenaient même pas la peine de traduire, se contentant de l’exposé que pouvait verbalement en faire l’un des rares responsables étrangers maîtrisant à peu près le ruritanien.
En revanche, tous ces non-Ruritaniens pratiquaient au moins un peu l’anglais, certains au niveau du baragouin de survie, d’autres avec une distinguée perfection. La pratique du groupe évolua donc spontanément vers l’usage de l’anglais, à la grande colère des vestales du ruritanien, qui y virent une nouvelle abdication de leur langue, encore une fois bafouée par ses élites dirigeantes. Mais l’anglais avait l’agaçant inconvénient de conférer aux Anglophones d’origine une apparence de supériorité dans laquelle ils se pavanaient avec quelque arrogance. D’ailleurs, le recrutement et les promotions aux échelons supérieurs de l’entreprise semblaient bien privilégier les anglophones, puis ceux qui pouvaient rivaliser avec eux en maîtrise de leur langue : la compétence technique, la qualification, l’expérience professionnelle commençaient à se trouver supplantées dans les choix et les distinctions par la capacité à s’exprimer avec une nouvelle élite n’ayant pour mérite premier que la connaissance de l’anglais. Munatco se voyait dériver sournoisement vers une domination anglo-saxonne.
La solution fut trouvée avec le globish. Il fut décidé, et officiellement stipulé que cette forme d’anglais allégé deviendrait le parler officiel international de Munatco. Et un programme concret vint servir cette orientation politique.
Les documents, sous forme papier ou électronique, susceptibles de circuler internationalement furent tous écrits en globish, ou aussi près du globish que possible. La mise en œuvre du logiciel « glob-lexis » conduisait à ce résultat sans peine, surtout avec la rapide incorporation du vocabulaire propre à Munatco, le jargon de ses métiers.
Les discours, les allocutions, les compte-rendus de comités de direction, etc., ne circulèrent. plus qu’en globish, même si l’orateur ou les participants s’étaient exprimés initialement en ruritanien, en anglais, ou en toute autre langue. Il fut vérifié qu’à Montevideo, Kiev et Seoul, la compréhension spontanée et immédiate était infiniment meilleure. Munatco allait y gagner des fortunes en temps consommé, en argent et en précision.
Les Anglophones furent priés de s’inscrire dans la même démarche, et d’utiliser ce même logiciel « glob-lexis » pour alléger leur anglais trop touffu, que trop de monde peinait à comprendre. D’ailleurs, leurs textes étaient impitoyablement passés par les lecteurs lointains dans la moulinette de « glob-lexis », laquelle révélait dans la seconde le degré de conformité du document soumis avec l’intention annoncée d’un alignement sur l’anglais correct mais circonscrit que proposait le globish : ceux qui s’en éloignaient trop étaient oubliés, et ceux qui se conformaient étaient lus systématiquement, puisque réputés et avérés accessibles à tous. Les Anglosaxons ne mirent pas longtemps à comprendre que leur docilité dans cette campagne conditionnait aussi leur maintien dans leurs positions professionnelles. Et ils découvrirent que leurs talents profonds, et leurs contributions effectives, comptaient maintenant plus que leur facilité d’expression : la compétition entre collaborateurs retrouvait son égalité de chances normale et souhaitée.
Les employés furent partout invités à se former en globish, l’effort étant limité à une heure par jour pendant six mois : avec seulement 1 500 mots de base, dont une majorité déjà connus, une grammaire toujours correcte mais limitée aux expressions simples, une prononciation compréhensible partout quoiqu’imparfaite, l’objectif était immédiatement perçu comme contingenté, et donc crédible. Cette crédibilité, et l’annonce officielle de la politique de l’entreprise en faveur du globish, assuraient un accueil enthousiaste : tout le monde allait pouvoir communiquer mondialement, correctement, sans un effort équivalent à celui, futile au total, des sept ans d’enseignement secondaire.
Un traité d’autoformation étant disponible dans le marché, Munatco proposa de prendre à sa charge la moitié du coût d’acquisition consenti par les employés. Le budget en question étant fort limité, la société aurait pu prendre le total de l’achat à sa charge. Mais le Président préféra cette formule de partage, son but étant que les apprenants se sentent un minimum engagés dans la démarche. En supplément, Munatco fournit des animateurs formés à cette technique, qui conduisirent, à raison d’une heure par semaine, des séances de mise au point et d’ajustement très appréciées des participants. Ce travail de révision en groupe eut aussi une vertu incitative par l’émulation qu’il créait. Les apprenants observaient leurs progrès mutuels, et leurs lacunes, vite comblées par un supplément d’activité pour éviter de se trouver largué.
En un an, le véhicule mondial était devenu le globish, et les puristes défenseurs du ruritanien ne trouvèrent rien à redire : ce n’était pas de l’anglais, et cette démarche innovante n’allait pas soutenir l’anglais, ennemi linguistique héréditaire du ruritanien. Munatco fut décrite comme la première entreprise pragmatique et visionnaire à décider que ses contacts internationaux ne perdaient rien en efficacité, et gagnaient par l’instantanéité et l’économie en préférant systématiquement le globish à la traditionnelle langue impériale. Après tout, qui avait légiféré que celle-ci aurait vocation universelle ?