le Globish dans le Monde du 22 octobre 2004
L’enseignement de l’anglais aggrave les inégalités, par Jean-Paul Nerrière.
Claude Thélot vient d’apporter au ministre de l’éducation nationale son éclairage sur l’avenir de l’école. Il y a peu, Bernard Plasait, alors sénateur, fait ses recommandations sur notre industrie touristique. Ils se rejoignent en recommandant la maîtrise d’un « anglais de communication internationale ». C’est tout l’objet du « globish », sur lequel je souhaite attirer l’attention de François Fillon.
La langue parlée internationalement de nos jours n’est plus l’anglais de la reine, ni même celui de Mickey, mais un dialecte pauvre qui n’attendait qu’un nom, une codification et une délimitation. Ce dialecte s’appelle désormais le globish. C’est celui qu’utilisent de plus en plus les 88 % de l’humanité qui ne sont pas nés anglophones. Et il est, en outre, amplement suffisant avec les 12% d’anglophones de naissance. Trente-cinq ans de responsabilités à travers le monde me l’ont démontré sans équivoque, et d’innombrables internautes témoignent pour me confirmer dans cette conviction (www.jpn-globish.com). Avec 1 500 mots, une prononciation rudimentaire mais correcte, une grammaire simplifiée, ce parler est plus accessible que Somerset Maughan, Mark Twain et Donald Rumsfeld réunis. C’est celui que pratiquent aussi bien, et avec un égal bonheur, Monsieur Jacques Chirac et Monsieur José Bové, autant sur CNN qu’à Paris.
Cette année, 602 300 adolescents se sont présentés au baccalauréat. Plus de la moitié d’entre eux (les supposées « prestigieuses » séries S, L et ES) espéraient l’obtenir sans qu’il leur soit jamais demandé de parler anglais : l’examen n’exige pas d’eux une épreuve orale. Certes, des épreuves orales facultatives permettent encore de glaner des points en anglais, mais à égalité avec les langues régionales. Ainsi, pour avoir des chances de progresser professionnellement dans la carrière ultérieure, parler le breton ou le basque est présumé par le ministère de l’éducation aussi utile que de pouvoir communiquer à Oulan-Bator, Buenos Ayres, Osaka ou Chicago. N’est-ce pas la performance de notre pays qui en dépend, à l’heure de la mondialisation, avec son économie, ses emplois, son prestige ?
Monsieur Fillon croit-il qu’ainsi nos enseignants, si bien formés et si motivés, s’appliquent à apprendre à leurs élèves la maîtrise de la communication globale ? Allons donc ! Ils leur enseignent, et ils ont raison, la manière de réussir à un examen écrit. Et nous devrions nous étonner de ce que le Français est réputé peu à l’aise face aux étrangers ?… Quel gâchis, et quelle frustration ! Les professeurs sont prêts à faire plus et mieux pour cette nation, mais il faut leur en faire instruction et leur en donner les moyens.
Nous ne nous privons pourtant pas de dire que cette facilité, dans le village global, deviendra un différenciateur important. Les petites annonces de la presse le démontrent tous les jours en spécifiant « anglais courant » ou « bilingue » dans le libellé leurs demandes.
En fait, les seuls de nos enfants qui arriveront à cette pratique courante sont ceux dont les parents auront pu financer de multiples séjours linguistiques en terre anglophone, malgré le rendement incertain de ces initiatives. En clair, Marie-Adélaïde de Neuilly y parviendra, et s’en servira pour assurer sa place dans la vie économique. Mustapha aux Tarterets, Dialo à la Courneuve seront abandonnés à la noyade au milieu du gué linguistique. Bonne manière de perpétuer l’écart…
Comme démocrate, le ministre de l’éducation tient vigoureusement à l’égalité des chances. Et, comme ses prédécesseurs, ici il l’oublie. N’est-il pas temps de songer sérieusement à enseigner à tous nos successeurs une langue universelle, dérivée de l’anglais, utile partout dans le monde, suffisante dans sa simplicité, visant le seuil de compréhension et une prononciation acceptable : le dialecte planétaire du troisième millénaire ? Ce serait l’urgence première dans des établissements d’enseignement au fronton desquels un mot fondateur important se trouve logé entre « Liberté » et « Fraternité ».
Jean-Paul Nerrière
Ancien vice-président d’IBM Europe et vice-président d’IBM USA en charge du marketing international. Ancien vice-président du Comité national pour le développement des Grandes Écoles. Auteur de Parlez Globish (Éditions Eyrolles).